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Le Pacte Européen sur l’Asile et l’Immigration, « Nouveau Départ » ou Vieilles Recettes ?

Lors de son premier discours devant les députés européens en décembre 2019, la présidente Ursula von der Leyen revient sur le dossier migratoire laissé en friche depuis juin 2018. Elle annonce l’adoption d’un pacte européen sur l’asile et l’immigration présentée comme « un nouveau départ » permettant de dépasser les oppositions entre les États membres et de poser les bases d’un équilibre plus équitable entre solidarité et responsabilité. Il est évident que la nouvelle Commission joue une partie de sa crédibilité sur la question migratoire. Elle entend éviter le sort du précédent exécutif européen qui s’est particulièrement essoufflé sur la « crise migratoire ».


Initialement prévue pour le printemps 2020, la présentation du pacte est repoussée au 23 septembre 2020 en raison de la pandémie de COVID-19. Le pacte est une somme de plusieurs centaines de page comprenant des propositions législatives, des communications et des recommandations aux États membres sur l’ouverture de voies légales pour les réfugiés et les opérations de sauvetages en mer. Que cela soit sur le fond des propositions ou sur la méthode, le pacte ne peut être qualifié de « nouveau départ », mais s’inscrit bien dans la continuité des vingt dernières années de politique européenne d’asile et d’immigration.


Des propositions peu réalistes

Dans sa composante législative, le pacte européen sur l’asile et l’immigration est principalement un texte relatif à la gestion de l’immigration irrégulière aux frontières extérieures de l’UE. Il propose aux États membres un cadre juridique homogène en matière de gestion des arrivées irrégulières et, incidemment, d’asile et de retour. La Commission européenne suggère de mettre en place un système de filtrage (screening) pour tous les ressortissants de pays tiers qui franchissent irrégulièrement les frontières extérieures de l’UE puis une procédure d’asile à la frontière obligatoire pour certaines catégories de demandeurs d’asile et, le cas échéant, une procédure de retour. La Commission accompagne ce dispositif d’un mécanisme de partage de responsabilité et de solidarité laissant le choix aux États membres entre différentes formes de contributions : la relocalisation de demandeurs d’asile, le « parrainage de retour » d’étrangers en situation irrégulière ou d’autres formes de soutien opérationnel.


La Commission européenne entend ainsi uniformiser les politiques d’États, tels que l’Espagne, l’Italie et la Grèce, qui, du fait de leur position géographique, doivent gérer les arrivées irrégulières sur leurs côtes. Néanmoins, si elles ont une certaine cohérence sur le papier, ces propositions semblent avant tout « hors sol » et peu opérationnelles. Au final, les États membres resteront en charge de la mise en œuvre de ces propositions assez contraignantes et dont on imagine mal qu’elles puissent s’appliquer correctement sans mobiliser des ressources importantes. Le camp de Moria de l’île de Lesbos est une illustration dramatique d’une réalité qui déjoue les plans d’une UE coupée du terrain.


Vouloir uniformiser les procédures aux frontières extérieures constituent un non-sens dans la mesure où les situations migratoires, notamment les profils des migrants, évoluent dans le temps et dans l’espace. Par exemple, l’Espagne, l’Italie et la Grèce disposent de capacités et de moyens variés. S Surtout ces trois États entretiennent des relations très différentes avec les pays tiers qui leur font face (Maroc, Tunisie, Libye, Turquie) et qui se trouvent par ailleurs dans des situations géopolitiques contrastées. En d’autres termes, l’idée d’une procédure uniforme est illusoire tant que le contrôle des frontières et la procédure d’asile relèvent de la compétence des États membres. De plus, ces propositions soulèvent un débat juridique qui n’est pas que théorique. Le niveau de contrainte sur la liberté et les garanties procédurales des migrants et des réfugiés impliqué par le pacte soulève inévitablement des questions de compatibilité avec les droits fondamentaux et une jurisprudence désormais bien établie des cours de Strasbourg et de Luxembourg


Gouverner l’UE en 2021

Les propositions du pacte sont le fruit d’une méthode de prise de décision qui n’a pris en considération ni les échecs des politiques européennes d’asile et d’immigration depuis 20 ans ni l’état actuel des forces politiques dans l’UE. Les élections européennes de mai 2019 n’ont pas permis de dégager de nouvelles lignes politiques claires en Europe. À l’inverse, elles ont souvent conforté les positions des gouvernements nationaux – notamment en France, en Allemagne, en Italie, en Hongrie et en Pologne -, dont les partis politiques au pouvoir sont sortis vainqueurs du scrutin.


Rien ne semble permettre de concilier des positions nationales aussi antagonistes. Pourtant, la nouvelle Commission européenne décide de poursuivre la voie d’une réforme législative d’ampleur et la recherche d’un consensus miraculeux entre les États membres. Le consensus ressemble davantage à des concessions faites aux pays du groupe de Visegrad – pourtant minoritaires – qui obtiennent l’autorisation de ne pas contribuer à la répartition des demandeurs d’asile en Europe. Le niveau de défiance entre les États membres est tel que l’objectif de régimes d’asile et d’immigration efficaces et justes semble secondaire par rapport à un accord susceptible d’apaiser les tensions en Europe. Autrement dit, l’enjeu est que chaque partie ait l’impression d’avoir gagné sur le moment. Mais avant même la fin de l’année 2020, l’avenir du pacte semblait déjà compromis. En plein débat sur la conditionnalité des fonds européens, le Premier ministre hongrois a rejeté ces propositions, qu’il juge insuffisantes. La présidence allemande de l’UE n’a pas réussi à obtenir un accord politique sur les principaux aspects du pacte. Le dossier va désormais passer entre les mains de la future présidence française de l’UE au 1er semestre 2022.


Au fond, la question que les institutions européennes n’ont pas voulu traiter est de savoir comment gouverner l’UE avec des gouvernements populistes, se proclamant eux-mêmes « illibéraux » – donc opposés aux valeurs fondamentales de l’UE – et peu aptes à accepter les règles du jeu européen. Ce sujet dépasse l’enjeu migratoire, comme l’ont montré les difficiles négociations sur le Brexit. Mais la question migratoire est perçue comme un symbole de cette Union en panne. En premier lieu, parce que la gestion de l’immigration est un enjeu terriblement humain et touche aux valeurs humanistes, certains diront fondatrices, de l’Europe. Ensuite, parce qu’elle est utilisée comme un symbole par les forces politiques opposées à la construction européenne. Peut-être faut-il que l’UE reconsidère son projet de politique commune d’asile et d’immigration pendant quelques temps et s’applique à prouver, de manière pragmatique, sur le terrain et aux côtés des États membres, son utilité et sa valeur ajoutée pour répondre aux grands défis migratoires. Alors seulement, l’UE pourra à nouveau envisager de faire de ces questions un outil de l’unité régionale.


Rédigé par Matthieu Tardis


Matthieu Tardis est chercheur au Centre migrations et citoyennetés de l’Institut français des relations internationales (IFRI).

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