La dissociation du foncier et du bâti, un outil à développer pour lutter durablement contre la spéculation foncière.
Depuis le début des années 2000, l’envolée des prix de l’immobilier a été particulièrement notable : + 72 %, alors que le revenu disponible par ménage n’a lui progressé que de 5 % sur la même période.
De son côté, l’indice de référence des loyers (IRL) publié régulièrement par l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), rapporté au revenu disponible des ménages, est demeuré stable depuis les années 1970.
C’est donc bien le pouvoir d’achat immobilier qui a diminué, de 19 % depuis 2000. Pour acheter le même logement, un primo-accédant doit aujourd’hui s’endetter sur 20 ans en moyenne, contre 15 ans en 2000, soit une durée plus longue d’un tiers. L’institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) soulignait en outre, dans une étude publiée en septembre 2020, que pour les 20 % des ménages les plus modestes, la part des dépenses de logement dans le budget des ménages est supérieure de 10 points à celle des 20 % les plus aisés, alors qu’elle l’était de seulement 1,5 point en 1979.
Cette flambée provient surtout du prix du foncier, puisque le prix moyen des terrains à bâtir a progressé de 55 % entre 2008 et 2018, tandis que la surface moyenne acquise diminuait de 25 %. Le foncier pèserait environ 30 % du prix en Île-de-France avec des pointes jusqu’à 45 %, selon les professionnels de l’immobilier et les bailleurs sociaux. Difficile, dans ces conditions, de produire des logements abordables permettant de loger toute la population française.
C’est dans ce contexte tendu que j’ai remis, à sa demande, au Premier ministre Édouard PHILIPPE en novembre 2019 un rapport sur la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction. Ce rapport contenant 50 propositions a immédiatement donné lieu à une proposition de loi visant à réduire le coût du foncier et à augmenter l’offre de logements accessibles aux Français, contenant les mesures phares de mon rapport. Adoptée à l’unanimité en première lecture par l’Assemblée nationale le 28 novembre 2019, ce texte n’a pas encore été débattu au Sénat en raison notamment d’un calendrier parlementaire contraint par la crise sanitaire, économique et sociale.
Désormais, c’est le projet de loi relatif à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (dit « 4D ») qui représente une opportunité unique pour poursuivre ces travaux et faire progresser dans son ensemble le sujet primordial de la maîtrise foncière.
Car la crise économique et sociale entraînée par la crise sanitaire liée à la COVID-19 risque d’accentuer les inégalités sociales déjà révélées lors du mouvement des « gilets jaunes » et du Grand débat national, au cours desquels les questions relatives au coût du logement et des transports induits n’ont cessé de revenir parmi les priorités de nos concitoyens.
Ces derniers voient en effet leur pouvoir d’achat et leur reste à vivre s’amoindrir d’année en année en raison de l’augmentation du prix des logements dans les zones tendues et se voient donc contraints de vivre de plus en plus loin des centres-villes ou de renoncer à accéder à la propriété.
Face à ce constat, la dissociation entre le foncier et le bâti apparaît comme un outil novateur permettant d’agir résolument pour stopper définitivement la spéculation foncière et permettre à chacun de se loger librement et dignement, y compris en centre-ville.
La dissociation de la propriété du foncier et du bâti est en quelque sorte le troisième mode d’accession à la propriété, qui vient s’inscrire en complément des deux premiers que sont la pleine propriété classique et le démembrement du droit de propriété, qui partage ce dernier entre l’usufruitier et le nu-propriétaire.
Actuellement, cette dissociation permet de produire des logements à un coût plus accessible pour nos concitoyens au travers des organismes de foncier solidaire (OFS) instaurés par la loi nᵒ 2014-366 du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), mais est circonscrit à l’accession sociale à la propriété.

Les organismes de fonciers solidaires (OFS) ont connu un véritable essor au cours des deux dernières années. Face à cet intérêt croissant de nos concitoyens, je défends l’idée de massifier cette dissociation et de l’étendre à de nouveaux usages, par exemple en faveur du logement intermédiaire, ou encore pour des usages commerciaux ou de service.
À ce titre, le projet de loi dit « 4D » devrait contenir dès sa version initiale de nombreuses mesures portant sur l’urbanisme et le logement tendant vers cet objectif, dont ce renforcement des organismes de foncier solidaire (OFS) que je préconise de longue date et qui permettra d’élargir la dissociation de la propriété du foncier de celles des appartements au logement intermédiaire, ainsi qu’aux commerces et aux locaux d’activités économiques.
C’est un premier pas qui vient renforcer notre boîte à outils pour atteindre les objectifs de maîtrise et de sobriété foncières et qui permettra de produire du logement plus abordable pour nos concitoyens.
Je m’en réjouis et espère que ce texte sera également complété par des mesures fortes en matière de transparence foncière et d’urbanisme, par exemple au travers de la mise en œuvre d’observatoires du foncier et de l’habitat dans les zones tendues, de délibérations en conseil municipal et communautaire sur les objectifs de construction de logements, et de mesures pour réformer le service des Domaines, qui doit véritablement se placer au service des collectivités territoriales.
Avec cet élargissement du mécanisme de dissociation, le projet de loi dit « 4D » participe en tout cas à un changement de paradigme profond sur l’enjeu du foncier, à la promotion de la sobriété foncière et d’un urbanisme circulaire pour des villes plus compactes, durables et désirables.
Rédigé par M. Jean-Luc Lagleize
- twitter @JeanLucLAGLEIZE
M. Jean-Luc Lagleize est député de la 2eme Circonscription de Haute Garonne et secrétaire de la Commission des affaires économiques.
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