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L’Autonomie Stratégique Européenne par la Pratique

La conférence sur l’avenir de l’Europe aura bien lieu. Evoquée il y a plus de deux ans, repoussée plusieurs fois, elle a été enfin lancée le 9 mai dernier à l’occasion de la Journée de l’Europe - fête célébrée chaque année dans les Etats de l’UE pour commémorer la Déclaration Schuman du 9 mai 1950, elle-même considérée comme fondatrice de la construction européenne. La session plénière inaugurale de la Conférence s’est tenue samedi 19 juin à Strasbourg. L’exercice durera près d’un an pour se conclure à la fin de la présidence française de l’UE en juin 2022.

Parmi les sujets, nombreux, dont les citoyens européens sont amenés à débattre, force est pourtant de constater que le volet défensif de l’ambition d’autonomie stratégique européenne n’est pas le plus populaire. Qu’il s’agisse des principaux atouts de l’UE, des défis pour son avenir, ou de ce qui est perçu comme étant le plus utile, un eurobaromètre réalisé à l’automne 2020 indiquait clairement une priorisation des enjeux juridico-politiques (l’état de droit), sociétaux, écologiques, économiques, et de sécurité intérieure (nommément la lutte contre le terrorisme à l’intérieur des frontières). La dégradation des relations internationales, la capacité des pays de l’UE à peser sur les affaires stratégiques mondiales, l’ambition d’autonomie capacitaire des moyens de défense recueillent l’attention de moins de 20% des sondés, quand la question est posée.

Il y a plusieurs explications à ce désintérêt relatif : le territoire des Etats de l’UE reste un espace de paix ; les préoccupations à l’égard de la politique extérieure sont rarement prioritaires dans l’opinion ; la perception d’une érosion du projet européen est répandue ; les crises sanitaire et économique relèguent à l’arrière-plan les autres enjeux ; le débat stratégique est complexe, nécessite une initiation, des connaissances spécifiques. Or, ce débat a quitté les arènes publiques européennes à la fin de la guerre froide pour réapparaître depuis peu à la faveur d’une recrudescence des actes terroristes en Europe, des printemps arabes et de la guerre en Syrie, de l’annexion de la Crimée par la Russie, notamment. Mais cette réapparition est encore timide. C’est dommage parce que la question même d’un avenir pour l’Europe dépend en partie de sa capacité à relever le défi de son autonomie stratégique. L’ouverture de la conférence sur l’avenir de l’Europe offre de populariser et de démocratiser ce défi. Quels en sont les termes ?

L’Union européenne revendique officiellement l’objectif d’autonomie en termes de sécurité et de défense au moins depuis la fin 2013 - le Conseil avait alors utilisé ce vocable en matière d’industrie de défense. Cet objectif est inscrit dans la Stratégie globale de l’UE de 2016 en termes simples : « Un niveau approprié d'ambition et d'autonomie stratégique est important si l'on veut que l'Europe puisse promouvoir la paix et la sécurité à l'intérieur et à l'extérieur de ses frontières. » Plus tard cette même année 2016, la Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, dans un document opératoire intitulé « Implementation Plan for Security and Defence », définissait cette ambition comme « la capacité à agir et à coopérer avec des partenaires internationaux et régionaux autant que possible et celle d’opérer de manière autonome quand et là où cela serait nécessaire ». Ce document détaille treize actions qui vont dans le sens d’un accroissement de l’autonomie de défense. Cinq années plus tard, le débat ne relève plus de savoir si l’on est pour ou contre le principe mais bien ce qu’il convient de faire pour continuer de progresser dans cette voie.

Pour celles et ceux qui douteraient encore du bien fondé de l’idée, le défi peut être formulé dans les termes suivants : les progrès qui ont été accomplis depuis le sommet de Saint-Malo de 1998, acte fondateur du processus d'élaboration d'une politique de sécurité et de défense commune (PSDC) en Europe, sont à la fois très réels et permettent de relancer le débat sur le terrain des engagements. L’autonomie stratégique en matière de sécurité et de défense est une réalité qui progresse : la coopération structurée permanente depuis fin 2017 fournit un cadre politique d’ensemble, le fonds européen de défense pour 2019-2020, la « Facilité européenne de Paix » dans les années à venir, fournissent les moyens pour mettre en œuvre l’ambition.

Cela étant posé, il convient de reconnaître que les objectifs fixés à Helsinki en 1999 n’ont pas été atteints par nombre d’Etats. Le manque de capacités frappe à plusieurs titres, notamment en matière de partage de l’information ou de ce que l’on appelle la « Situation Awareness ». L’inégalité dans les investissements de défense entre Etats européens pour combler les multiples manques capacitaires perdure. La question de savoir dans quelle mesure accroître ces investissements nécessite de préciser l’ambition commune. A toutes fins utiles, s’il est question d’un scénario de défense collective de grande ampleur à l’avenir, les estimations indiquent un manque d’environ 300 milliards de dollars collectivement, qui pourrait être comblé au mieux en vingt ans. Enfin, la fragmentation du marché européen de la défense du côté de l’Offre est toujours très réelle et évidemment en rapport avec certains freins à l’autonomie collective. Aujourd’hui, encore 80 % des investissements de défense en Europe sont dépensés au niveau national.

La pandémie de Covid-19 en Europe depuis l’hiver 2020 a utilement relancé la question de l’autonomie stratégique de notre continent en l’enrichissant de ses volets scientifique, technologique, industriel, commercial et financier. C’est une bonne chose. Mais il convient de ne pas noyer le sujet dans un élargissement sans fin de ses acceptions. L’adoption d’une « Boussole stratégique » de la défense européenne au cours de la présidence française du Conseil de l’UE au début de l’année 2022 offrira le meilleur cadre pour évaluer la mise en œuvre de l’autonomie stratégique européenne. Façonner ce futur « Livre blanc » fait évidemment partie du débat démocratique sur l‘avenir de l’Europe qui s’est ouvert ce printemps.


Rédigé par Benjamin Hautecouverture


Benjamin Hautecouverture est historien et politologue, maître de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique (Paris, France). Il est directeur technique pour Expertise France, Senior Fellow au Canadian Global Affairs Institute, et l'un des fondateurs du Consortium de l'Union européenne sur la non-prolifération et le désarmement.

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