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Défense de l’Union Européenne: Enfin une Réalité?

Depuis 2014 et l’annexion de l’Ukraine par la Russie, les initiatives en faveur de la défense de l’Union européenne se sont multipliées, au point que selon certains observateurs cette défense aurait fait plus de progrès en six ans qu’en cinquante. Cela reste à voir. Pour l’instant ces initiatives semblent manquer de cohérence et si les acronymes se sont multipliés, les capacités sont restées inchangées. C’est pourquoi un premier bilan s’impose afin d’identifier les obstacles qui se dressent sur la route d’une « Union européenne de défense » et d’envisager comment les contourner.


Les initiatives intervenues peuvent se ranger en trois groupes homogènes. Le premier est celui qui émane du « plan d’action défense » de la Commission européenne de 2016, complété en 2018. Entrent dans ce groupe, le Fonds européen de défense (FED) qui concerne la recherche de défense (7,9 milliards d’euros), la Facilité Européenne de Paix (FEP) qui devrait permettre de doter les États partenaires de l’Union d’équipements militaires à la suite des missions d’entrainement (5 milliards euros) et enfin le plan d’action sur la mobilité militaire, destiné à renforcer la mobilité des forces (1,7 milliard d’euros), soit au total 14,6 milliards d’euros sur sept ans (2021-2027) soit environ 2 milliards d’euros par an.


La seconde série d’initiative prend naissance avec la Stratégie globale de l’Union Européenne, présentée par la Haute Représentante/Vice-Présidente de l’Union en juin 2016 et qui a permis d’enclencher un nouveau cycle de planification de défense au niveau européen. Cette planification a été menée à la fois dans le cadre du comité militaire de l’Union Européenne (CMUE) avec le concours de l’état-major de l’Union européenne (EMUE) et de l’Agence Européenne de Défense (AED). Dans la même veine, il fut décidé au de lancer au printemps 2020 une « boussole stratégique » qui devrait aboutir au printemps 2022, à une sorte de Livre blanc de la défense européenne qui ne dirait pas son nom.


Enfin, le troisième groupe est formé d’initiatives plus ou moins diverses des États membres. Il s’agit tout d’abord de l’établissement en novembre 2017 de la coopération structurée permanente ou PESCO. Les États membres souhaitèrent également mettre en place un embryon de quartier général : la capacité militaire de conduite et de planification lancée en juin 2017. Il faut encore ajouter à cela un vaste plan de coopération entre l’UE et l’OTAN adopté en juin 2016, complété en 2017 et qui a abouti à un total de 74 mesures concrètes destinées à améliorer les relations entre les deux organisations. Enfin, entre aussi dans cette catégorie « l’initiative européenne d’intervention » (IEI) lancée à l’initiative de la France en 2017 dont l’ambition est de favoriser l’émergence d’une « culture stratégique » européenne entre neuf États européens, dont le Royaume-Uni.


Il est trop tôt pour dire si toutes ces initiatives accroîtront la capacité de l’Union européenne à se défendre seule. Elles ne donneront des fruits, le cas échéant, que vers la fin de la décennie. Pour l’instant les deux initiatives les plus prometteuses nous semblent être la boussole stratégique qui n’est qu’une promesse d’orientations stratégiques et le FED dont le succès dépendra beaucoup de la capacité des États membres à s’entendre et à acquérir les capacités qui en résulteront. Quoiqu’il en soit, l’Union européenne n’a toujours pas apporté de réponse satisfaisante à l’articulation entre cette défense commune encore à naître et l’OTAN.


C’est qu’en effet de nombreux obstacles continuent de se dresser sur la route d’une « Union européenne de défense ». Pour qu’une telle Union existe il faudrait que trois éléments soient réunis : l’intention de se défendre, les moyens pour le faire et l’aptitude à décider de leur emploi. Or, pour l’instant, ces trois éléments font défaut.


Concernant l’intention, l’idée d’une défense commune se confondait à l’origine avec l’idée, pour les Européens, d’être capables de gérer des crises dans leur voisinage, lorsque les Américains ne souhaitaient pas intervenir. C’est la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC) énoncée dans le Traité sur l’Union européenne de 2007. Le fait est que depuis 2003 et la rédaction du Traité la gestion de crises n’intéresse plus grand monde et aucun État membre, pas même la France, n’a songé à envoyer une force européenne gérer les crises en Syrie, en Libye ni même au Mali. Pour autant, les Européens ne sont pas prêts non plus à envisager de prendre en charge tout ou partie de la défense collective du territoire de l’Union et acceptent sans broncher le protectorat américain. Ni les sanctions extraterritoriales contre les entreprises européennes, qu’il s’agisse de les empêcher de commercer avec l’Iran ou de construire un gazoduc avec la Russie, ni l’espionnage systématique de citoyens européens sur le sol européen tel que révélé par l’affaire Snowden, ni la déstabilisation orchestrée d’entreprises européennes telles qu’Alstom, ni les injures et le mépris manifesté par Donald Trump, n’ont suffi à provoquer une adhésion durable au concept d’autonomie stratégique, ni à donner un contenu quelconque à l’idée d’un « pilier européen de l’OTAN ». C’est un mystère qu’il importe de percer.


A supposer que les États européens aient l’intention de construire une défense commune, en auraient-ils la capacité ? A vrai dire, savoir si l’Union européenne est capable de se défendre n’a pas de sens en soi. La vraie question reste toujours la même : contre qui et contre quoi ? Car, au-delà des débats de spécialistes, ce n’est pas la même chose d’empêcher une percée des forces russes dans la trouée de Suwalski, de combattre les groupes djihadistes au Sahel, les cyber-guerriers chinois ou les terroristes islamistes sur le sol européen. Si l’on fait néanmoins l’hypothèse que les Européens ne sont pas - aujourd’hui - en mesure de se défendre y aurait-il une loi de la gravitation géopolitique faisant qu’une défense de l’Europe par l’Europe serait - à jamais - une illusion ? Pour y répondre, écartons tout de suite la prétendue insuffisance des dépenses de défense des États européens, mesurée à l’aune du critère de 2 % du PIB établi au sommet de l’OTAN de 2014. Si les Européens qui, en 2019, dépensaient ensemble 190 milliards d’euros en matière de défense, hors Royaume-Uni, ont peur des Russes qui n’en dépensaient que 50, alors c’est bien que le problème est dans la structure de cette dépense et non pas dans son volume. Tant que les Européens auront 27 ministères de la défense qui voudront tous avoir le contrôle de leur outil de défense, cela ne changera pas, quand bien même dépenseraient-ils 4 % de leur produit intérieur brut. Si ce n’est donc pas une question d’argent qu’est ce qui empêcherait les Européens de construire une défense européenne ? Rien, à part le fait d’être d’accord sur ce qu’ils veulent faire ensemble.


Et c’est bien là le talon d’Achille de la défense de l’Union : leur aptitude à décider est bloquée par le principe d’unanimité. La défense européenne repose sur les seules capacités de ses États membres, dont les décisions sont prises dans un cadre intergouvernemental, où chaque État a la possibilité de bloquer tous les autres. Ce blocage s’exerce aussi bien quand il s’agit de décider des opérations extérieures que pour ce qui est de la planification de défense. Incapable de s’entendre sur la liste des menaces auxquelles ils veulent pouvoir faire face, les États européens sont bien incapables de décider entre eux, l’outil militaire dont ils souhaitent disposer.


Comment contourner ces obstacles ? A court terme, un premier élément de réponse pourrait être apporté par la boussole stratégique. Mais pour que cette boussole soit autre chose qu’un simple bavardage stratégique, elle devrait permettre de dégager les ambitions de défense des États membres et surtout d’engrener ces ambitions avec les différents processus capacitaires nationaux. Car sans nouveau cycle de planification susceptible de produire des capacités, la boussole ne serait qu’un papier de plus.


A moyen terme : si l’ensemble des États européens ne veulent pas d’une défense européenne, il faudrait au moins que ceux qui le souhaitent forment entre eux une « avant-garde », un « noyau dur », un « Eurogroupe » de défense qui, quel que soit le nom qu’on lui donnerait, aurait pour ambition une intégration véritable des appareils de défense. Car c’est bien l’intégration qui est la clef. Et cette intégration n’aura pas lieu si on ne se met pas d’accord, d’abord, sur la façon dont prendre les décisions. C’était tout l’enjeu posé par la possible création d’un « Conseil de sécurité européen » envisagé entre Français et Allemands à Meseberg en juin 2018 et qui pour l’instant est restée lettre morte.


Pendant trop longtemps, les États Membres se sont focalisés sur la construction d’une « capacité d’action » sans se préoccuper de « l’aptitude de décider », tant leur désir de rester dans un cadre intergouvernemental était fort. Un cadre où chacun peut bloquer, mais aucun ne peut construire. Or l’équation de la défense commune n’est pas soluble dans un cadre intergouvernemental. L’aptitude à décider et la capacité à agir sont les deux faces d’une même monnaie. Il faudra bien l’admettre si l’on veut un jour que l’Union européenne soit capable de se défendre par elle-même et pour elle-même.


Rédigé par Frédéric Mauro


Frédéric Mauro est Chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), Avocat au barreau de Bruxelles et Membre du bureau d'EuroDéfense-France.



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